Il était une fois...
Qu'elle est sombre cette nuit, l'astre maudit s'éclipse face à la brume menaçante qui gagne la ville. Le vent souffle dans les ruelles, s'engouffre entre les sombres bâtisses constituant cette cité qu'ils quitteront bientôt. L'aube n'ose s'affirmer pour cet homme autrefois influent que l'amour et les rêves ont ravagé. Il serre contre son torse un landeau où une enfant s'agite. Elle est tout pour lui, rien d'autre n'importe. D'un pas décidé, il quitte l'Irlande pour des terres plus accueillantes pour lui et ce petit être en devenir.
***
- Mademoiselle Anne! MADEMOISELLE! Un rire quitte ma gorge tandis que je m'engouffre entre les plants de canne à sucre laissant la voix de ma nourice s'éteindre. Je cours à en perdre le souffle, les feuilles me fouettent le visage, mais rien n'a d'importance, il est de retour.
(A écrire)
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J'ai cru voir mon corps plus bas... Puis tout est devenu sombre, j'ai senti le froid, puis des rires. Des silhouettes se dessinent entre moi et la lumière.
- Qui êtes vous?Ma main se porte instantanément sur mes hanches, là où je garde mon arme, les années de quiétudes n'ont su m'ôter cette habitude que mon mari réprouve. Je réalise que je suis nue, que les regards explorent ce que j'ai passé tant de temps à dissimuler. Mes sourcils se froncent alors que j'observe les personnages masqués qui m'observent. L'un d'entre eux s'approche, un homme au masque souriant, arborant un curieux haut de forme orné de cigarettes.
- Félicitations meuf, t'es crevée!Je n'ai pas le temps de réagir qu'il me met une tape amicale dans le dos manquant de me décoller les poumons. Il éclate dans un rire affreux, il grince presque et je ne peux retenir un grognement. Une fois encore, il ne me laisse pas le temps de réagir, il tourne sur lui-même et entreprend une danse de bienvenue plus inquiétante qu'engageante.
- En fait je m'en fous, je venais juste voir le pruneau pour me taper une barre, amusez vous!Et c'est tout. Il disparaît dans les ténèbres, seul le sourire désaxé de son masque persiste avant de s'effacer à son tour. Un soupir retentit dans l'assemblée, un autre homme enchaîne.
- Ne fais pas attention, il est un peu con... - Quelqu'un pourrait m'expliquer c'est quoi ce bordel?- Du calme la grognasse, on y vient. - Bien, passons... Tout ce que tu as à savoir c'est que tu es mor... - OUAIS ET FRANCHEMENT, C'ETAIT PAS JOLI!- Putain mais il était pas parti lui?! - Nan, finalement ça a l'air marrant par ici!- VOUS VOUDRIEZ PAS LA FERMER?!Et puis merde à la fin. J'ai le souffle court, les poings serrés, et les lapins continuent de me dévisager comme si j'étais une bête de foire. Je suis morte? Et puis quoi encore...
- Maintenant l'un d'entre vous va m'expliquer ce qu'il se passe...- Non mais pour qui elle se prend la p... - Arrêtez... Purée, j'ai horreur de me disputer une âme. Écoutes, t'es morte. Ça, t'y peux rien. Mais t'as encore le choix, tu peux aller vers la lumière, ou nous suivre, nous t'offrirons une nouvelle vie... L'éternité même. - Après si tu veux tu peux toujours te suicider! Ya une super bout...- Vos gueules! Foutez moi ma paix! Les lapins se barrent, je reste seule dans l'obscurité. Dites moi que c'est un cauchemar.
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- Toujours pas décidée? - Casse-toi.C'est toujours la même scène absurde. Ça fait des décennies d'après le lapin, je n'ai plus la moindre notion du temps. Finalement, j'ai passé plus de temps avec lui qu'avec mes amis les plus proches... Ils ont commencé à venir moins souvent, puis plus du tout pour certains. Il est le seul à encore venir, à encore y croire. Quel con... J'ai juste envie qu'on me foute la paix. Je n'ai que faire d'une nouvelle vie, je me fiche du paradis. Je suis bien ici, seule. Mais est-ce que j'en ai vraiment envie?
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Noir, noir, noir... Je ne vois rien que du noir, je le broie, le mastique, m'astique, m'efface. Je masturbe mon esprit en espérant devenir sourde, ne plus entendre mes voix intérieures m'assaillir... Encore une fois, j'ouvre les yeux sur un corps étranger, mon coeur étouffe dans la cage trop étroite de ma poitrine. Mes mains usées par une vie pitoyable tremblent dans l'obscurité, je revois ce regard qui me hante, ton âme qui se brise au son de ma voix trop aiguë : « Si vous vous étiez battu comme un homme, vous n’auriez pas à mourir comme un chien. » Et moi Jack? J'ai eu beau me débattre je finis comme une chienne, six pieds sous terre et une histoire sans saveur sur la fin... J'aurais du partir, j'aurais du mourir aux côtés de Mary. Je regrette ces paroles, notre légende ne méritait pas cette chute pittoresque. Nous aurions du nous dresser contre l'Angleterre, contre les lois, nous trois contre le monde, Jack... Que nous avons étés sots de penser que notre gloire nous était due. Nous méritions de crever en agonisant, d'en emporter des milliers au fond des mers et non de nous laisser aller à la vieillesse ou à la maladie. J'ai été idiote...
- Enfin décidée? Encore cette voix irritante, ce sourire narquois... Je me tourne vers le diable masqué qui me tourmente depuis des années désormais, je n'ai que trop attendu entre l'ombre et la lumière et tu sais quoi, Jack? J'ai envie de faire ce que tu n'as su faire, plonger à corps perdu en Enfer sans me soucier des lendemains. Je me redresse. Jack, je t'en fais la promesse, ta mort n'aura pas été vaine et je ferais de ta légende ce qu'elle aurait du être. Je hoche faiblement la tête.
- Il est temps.J'ai eu l'impression de l'avoir vu sourire... Je m'en fous, je n'ai pas peur. Le temps n'est plus aux regrets, je réecrirais notre histoire avec le sang d'un royame s'il le faut, je ne reculerais devant rien...
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Cela fait trois années que j'habite un corps étranger dans lequel je me sens mieux que celui dont je me suis retrouvée affublée durant mes quatre-vingt années de vie. Je ne porte nulle trace de la femme que j'ai été, cela fait six années que je porte ton nom... Jack Rackham... J'ai fait couler le sang pour t'attribuer davantage de gloire que tu ne mérites, toi, le lâche... Tu ne mérites même pas d'exister, je te prendrais tout, si bien que personne ne se souviendra de qui tu as vraiment été. Je suis un toi bien meilleur, Jack. Je te hais... Si tu savais à quel point. Je ne me reconnais plus dans cette nouvelle vie, que dirait Mary? J'en tremble certains soirs... J'espère ne jamais la revoir pour ne pas avoir à réaliser ce que je suis devenu.
(UC)