A première vue, on pourrait aisément se tromper en voyant cette chimère et la prendre pour marraine la bonne fée. Des ailes d'odonate, translucides et fragiles, d'un bleu irisé. De délicats mouvements et quelques scintillements, de quoi vous envoûter. Puis, on entrevoit une queue vulpine s'agiter sous ses jupons, nous indiquant qu'on fait fausse route. Touffue, soyeuse, sombre. Une longue chevelure cascadant sur sa peau couleur miel. D'une douceur extrême et dont se dégage une fragrance de menthe poivrée. Des boucles aux reflets oscillant entre le bordeaux, le bleu nuit et le pétrole. Indéfinie, à l'image des animaux dont est issue la chimère.

Des oreilles de lapin noir, se dressant sur son crâne, dissimulant des bois de chevreuil clairs. Des crocs acérés dépassant de ses lèvres pulpeuses, souvent maquillées. Des iris d'ambre, un regard de biche. Une taille de guêpe, une démarche féline, des doigts arachnéens. Enfin, Wolpertinger, c'est un drôle d'oiseau. Elle à le regard espiègle, toujours un sourire mutin imprimé sur ses lèvres. Un visage d'enfant, légèrement rond, les joues rosies et un nez délicat, en trompette. Elle a la peau brune et douce, des formes généreuses et des articulations délicates. Elle n'est pas bien grande, à peine plus d'un mètre soixante sans talons.

Wolpertinger, elle a tout de la petite pixie, pétillante et avenante. Avec un petit côté bibliothécaire conféré par ses grosses lunettes rondes. On la remarque aisément, en plus de son attirail animal sans queue ni tête, elle arbore des couleurs flamboyantes. Du jaune, du bleu, du rose, tout pourvu que ça soit mignon et confortable. Des imprimés de lunes ou d'animaux, de la dentelle et des pompons. Les bonnets à oreilles animales aussi, elle adore ça, bien que ça soit ridicule avec tout son fatras. Des barrettes, de la fourrure, toute la mode excentrique japonaise quoi.

Tout d'abord, Wolpie est elle-même et ne cherche pas à plaire à tout prix. Autant le dire, elle se fiche des avis, ou tout du moins c'est l'image qu'elle cherche à donner d'elle. Toute remarque sur son allure, sa manière de parler so Kawai ou son style vestimentaire ne l'atteindront pas. Pas dans le sens où ça lui passera par dessus la tête, non, ça reste une créature pensante et avec sa fierté, ça pourrait l'agacer, mais ça ne la blessera pas et elle l'oubliera aussi-tôt. Wolpertinger n'est pas une créature rancunière. Elle est foncièrement gentille et ça se voit, c'est le genre à vous accueillir avec un sourire bienveillant et contagieux. Elle aime rire, faire rire, offrir des cadeaux et tenir compagnie à quiconque le demande. Elle est sympa, ouverte d'esprit, adorable et sociable. Elle a de la conversation et sait se montrer polie et respectueuse. Elle s'est forgée elle-même mais s'en est plutôt bien sortie. Voir quelqu'un pleurer la fait complètement paniquer et ne pas réussir à consoler ses proches de même.

Si elle est si gentille et concernée par le bien être des autres, c'est qu'elle est êxtrêmement sensible. Les choses l'atteignent facilement en général. En raison de sa trop forte empathie, elle se retrouve facilement à stresser pour les autres. Wolpie, c'est le genre à pleurer devant les films, à ne pas écraser les fourmis aussi. Ça la fatigue à la longue. Elle est un peu naïve aussi, racontez lui que demain il pleuvra des théières et elle sortira avec un parapluie en métal. Oui, elle est un peu sotte sur les bords. Maladroite aussi, mais cela ne la rend-t-il pas totalement adorable? Bon ok, ça peut être agaçant. Mais Wolpertinger elle aime surtout rire, je vous l'avait dit non? C'est une farceuse et elle s'amuse souvent à se jouer des autres, de façon totalement innocente et sans faire de mal à personne, après tout rire c'est salutaire et elle tente de transmettre le sien à tous les habitants et visiteurs du cirque. Même si elle a un humour particulier et que parfois elle fait pleurer les gens en pensant bien faire et que par extension elle pleure aussi. Oui, c'est une grande enfant.

Tu es née dans un terrier, ha non. C'était dans une forêt, ou un œuf? Tu ne sais plus, tant d'existences se bousculent en toi que c'est confus. Tout ce dont tu te souvient c'est le vieil homme avec ses verres épais et ronds penchés sur des petits corps dépareillés comme si toute la misère du monde pesait sur ses épaules. Charles Dupont avait 50 ans mais une vie d'efforts dans les pâturages avait creusé ses rides et voûté ses épaules, de même que le soleil avait laissé des traces permanentes sur son épiderme, si bien qu'il en faisait 70. Sa femme l'avait quitté pour un homme plus aisé en emportant avec elle sa progéniture. Du moins, c'est ce qu'il marmonnait en cousant tes parties animales entre elles, tu as toujours douté de la véracité de ses propos dont l’authenticité avait été compromise par des années de boisson. Ancien berger dont le métier ne lui permettait plus de vivre en raison, d'après lui, des élevage en batterie qui ne respectaient pas les vies qu'il prenait, comme si remercier ses bêtes avant de les abattre leur permettrait d'atteindre un quelconque paradis. Charles ne croyait pas dans le paradis, encore moins en dieu. Il voyait en toi le dernier espoir de couler des jours heureux, l'oeuvre de sa vie. Wolpertinger. Cette créature improbable créée de toutes pièces en rassemblant lapereau, bois de cerfs, crocs de loup et ailes de libellule avec des coups d'aiguille maladroitement placés. Après tout, la broderie c'était un truc de bonne femme.

Tu as vu le jour dans un atelier de taxidermie dans les Alpes Bavaroises qui avaient davantage l'air d'un laboratoire où était pratiquée la nécromancie, avec ses bocaux pleins d'yeux et de formol et cette odeur de chair en décomposition, monsieur Dupont étant trop viril pour s'encombrer d'une tâche aussi triviale que le ménage. Tu étais toutes ces créatures et aucune à la fois, un amas d'êtres brisés, arrachés trop tôt à la vie en l'échange de la promesse de quelques piécettes pour que Charles Dupont puisse subsister. Il t'avais alors expliqué l'importance de la vie humaine, que les hommes avaient étés créés à l'image de Dieu donc forcément, les autres espèces n'étaient destinées qu'à servir ses desseins et qu'il était bien généreux de leur offrir une utilité, une raison d'exister. Charles était un homme plein de contradictions. Il s’émerveillait chaque jour devant toi, se vantant d'avoir sublimé la vie, faisant d'un inutile lapereau une créature sanguinaire digne du chien de Baskerville d'Arthur Conan Doyle. Il disait même que les gens n'y verraient que du feu, qu'ils rêvaient d'exotisme et de mystère. Qu'ils aimaient voir leurs prédateurs rendus inoffensifs. Toi, Wolpertinger, tu serais une putain d'idole. Une star comme on en voit dans les films, tu passerais à la télé, on écrirait sur toi. Qu'est-ce que la vie en comparaison à la gloire? Dupont aurait tout donné pour avoir la chance qu'il t'offrait.

Les pièces sont tombées, les gens défilaient devant toi, affichant une mine de dégoût et parfois d'émerveillement. Certains doutaient, mais prenaient tout de même des photographies de cette misérable créature qui se tenait devant eux. Tu as cru apercevoir l'une de tes mères pleurer à la fenêtre un jour, du moins, tu as vu un lapin et cru ce que tu voulais croire, tu ne savais des mères que ce qu'avait pu te raconter Charles et des larmes que ce qu'il te laissait entrevoir lorsqu'il retraçait le fil de sa vie en se noyant au fond de son verre. Puis il a arrêté. Tu as entendu des boites en métal chanter, puis le silence et l'obscurité. Tu t'es retrouvée entassée sous une épaisse couche de poussière, toi, l'idole oubliée, ta fabuleuse destinée partie en fumée. Jusqu'au jour où certains individus te dépoussiérèrent pour t'offrir une nouvelle vitrine de laquelle tu pouvais voir l'inscription en lettres capitales "CABINET DES CURIOSITÉS". Les existences se remirent à défiler sous ton regard vitreux, les flashs se remirent à t'aveugler. Et puis tu revit ta mère, ces oreilles blanches. Alors c'est ça qu'il se passait quand on était vivants? On grandissait et devenait humain? Elle brisa le verre et t'emmena loin des projecteurs. Et tu grandit aussi. Tes pattes s'animèrent et s'allongèrent alors que ta fourrure se résorbât laissant place à un corps tels que ceux que tu regardais avec envie.


Et puis tu retrouvas la solitude. Celle qui te terrorisait. La même que celle de la cave de taxidermiste de Charles. Tu surpris ton cœur à s’emballer pour la première fois, t'avais l'impression qu'il allait exploser. Puis les larmes se mirent à couler sur tes joues, chaudes, piquantes. Tu voyais flou à nouveau, t'avais l'impression que le monde se dérobait sous tes pieds. Vertige, peur, panique. Tu hurla pour la première fois à t'en déchirer l’œsophage, implorant ta mère de revenir. Tu te recroquevilla sur toi-même dans ce que tes vagues souvenirs te glissaient être de l'herbe, bien que l'odeur était plus forte que dans ta mémoire. Tout te semblait étranger et effrayant. Des griffes longues et tortueuses s'agitaient en craquant au dessus de ta tête. La liberté c'était terrifiant. Tu avais fuit dans les champs de thé, t'étais vautrée comme un Bambi sur la glace, tu avais roulé, t'étais couverte de boue, tant de sensation aussi nouvelles qu'effrayantes.

Tu t'es mise à errer sans but, cherchant ta place dans ce nouveau monde, dans cette vie qui t'as enfin été donnée. Tu pensais que tout serait livré en lot, une famille, des amis, un but. Tu commençais à mieux comprendre le désespoir de Charles Dupont. Puis, ton temps s'est arrêté, comme ça, sans que tu n'aies pu grandir d'avantage. Sans que n'aies trouvé ta place. C'est alors que tu le vis. Cet homme, cette présence qui suivait chacun de tes pas depuis ton arrivée. Il avait choisi de t'approcher alors que tu étais au plus bas et tu l'as suivit sans hésiter. Il te promettait tout ce que tu avais toujours voulu, tout ce que Charles avait promit pour ton avenir. Tu te retrouvas alors enfermée. Cet homme ne te voulais que pour lui. Il savait parfaitement que la Reine Rouge ne voudrait pas d'une femme et qu'il pourrait t'avoir entièrement pour lui. Tu parvins à fuir grâce à l'aide d'un esclave qui t'avais prise en pitié. Tu te promis de lui rendre la pareille un jour et pris la fuite dans les marais, là où personne ne pourrait jamais te retrouver. Après des heures de marches tu découvris une ville à ton plus grand étonnement. On te promit un foyer, mais tes expériences passées t'avaient appris à te méfier. Tu décida donc de survivre par toi-même dans les marais. Il te fallut des années d'observation pour comprendre que le cirque ne te voulais aucun mal et que céder ton âme à Ally était la meilleure des solutions pour te préserver. C'est ainsi que tu rejoignis le cirque et commença à y travailler.

Malgré tout, ton sentiment de solitude ne se trouva jamais comblé... Jusqu'à ce jour où tu le vis... Jackalope. Il était comme toi. C'était la promesse que tu ne serais plus jamais seule désormais, tu en étais convaincue.