No hard feelings

   ♠ De ses vingt-et-un an, Sora est un jeune homme en pleine forme. Enfin, autant que l'on peut l'être pour un mort du Wonderland en fait. Il a d'ailleurs gardé son apparence à quelques modifications près. Son corps n'a pas bougé ni même son visage mais ses cheveux, eux, se sont allongés, changeant aussi de couleur pour tendre vers le violet. À son arrivée, il s'était longtemps posé la question sur leur avenir ; devait-il les couper ? Au final, il n'a jamais pu se décider. Parlez-lui de ses cheveux et il plongera dans un état comateux d'intense réflexion personnelle. On ne peut dire à l'heure actuelle s'il s'agit d'un traumatisme, pour lui qui avait autrefois une magnifique chevelure noire.

   ♠ Son visage n'a donc pas changé, il a gardé les mêmes traits, ce même air arrogant et totalement indifférent qui enrageait tant de personnes lorsqu'il était encore en vie, au Japon. Les japonais sont globalement tous quelque peu indifférent de nature, il est dans leur culture de ne pas faire de vague et d'agir honorablement, c'est pourquoi ils arborent toujours un air si sérieux et détaché, mais dans le cas du jeune décédé, Sora, c'est une indifférent quasi méprisante qu'il aime montrer, sans compter sur un sourire à l'arrogance inouïe. Pour ne rien arranger, son visage entier semble fait pour cette expression. Ses sourcils - semblant toujours froncés - sont tirés de façon verticale, partant juste au-dessus des yeux pour remonter de quelques degrés vers le haut et ses tempes. Ses yeux d'un noir profond et intense - tournant par ailleurs au rouge lorsqu'il use de son pouvoir - semble absorber l'âme dans un trou noir. Quant à son nez, on pourrait dire que c'est la seule chose qui désire pas irriter l'entourage de son propriétaire ; il n'a rien de plus ou rien de moins qu'un nez ordinaire. Finalement, sa bouche : lèvre du bas quasi pulpeuse sans trop l'être, lèvre du haut pincé sans trop l'être, sa bouche n'a rien d'harmonieuse. Son but ? Très clairement d'entrer dans la catégorie des choses chiantes pour quiconque l'observerait car même si elle se marie très bien au reste du personnage, chaque élément pris individuellement devrait former un visage monstrueux. Pourquoi diable est-ce le contraire ?! Allez savoir, à l'époque il aurait pu mettre une équipe de chercheur sur la question ...

   ♠ Le corps du Kuuran n'est pas frêle. En fait, il a plutôt l'apparence d'un sportif entraîné bien qu'il n'ait jamais fait de sport. Sauf si l'on considère sa passion pour le maniement du sabre, notamment le katana, comme un sport. Il avait alors pratiqué le Kendo durant plusieurs années, apprenant durant les dernières à manier la vraie lame des samouraïs de son pays. Plongé dans cette culture, il s'était forgé un corps sec et musclé, mais loin d'être imposant. Grâce à quelques visites à la piscine, il avait d'ailleurs pu entraîner de nombreuses filles dans son lit. Mais le plus intéressant chez lui reste sans doute le tatouage dans son dos : un magnifique bouddha entouré d'une scène démoniaque nommée le Hyakki Hyakko, le cortège nocturne des cents démons. Choisit par son père, le motif représente l'exact opposé de son porteur. Là où le bouddha est représentatif d'un être atteint d'une grande sagesse, Sora représente au contraire l'esprit vengeur sans remord. Dans son ex-vie, il était un des vingt-deux chefs Yakuza du Japon et son inexpérience lui valut la mort après deux ans seulement de service. Entraîné par son père pour être l'un des meilleurs, il fut finalement une déception qui amena le clan dans ses derniers retranchements. Sur son corps d'Alice, on peut d'ailleurs encore voir diverses cicatrices liées à ses entraînements, mais aussi à des coups de couteaux portées par une femme pourtant charmante. L'un d'elles forme d'ailleurs une croix sur son corps, comme s'il n'en possédait pas ; d'où son surnom.

   ♠ Pour le reste de son corps, eh bien rien ne semble sortir de l'ordinaire. Nu comme un ver, on pourrait vous dire qu'il possède toutefois un grain de beauté proche de la hanche, situé sous la crête iliaque ; l'os rond sur chaque côté du corps. C'est le seul sur son corps. Il porte aussi un collier renfermant l'âme de Kalistée Riddle.

   

   ♠ Enfant du chef d'un des vingt-deux clans Yakuza du Japon, Sora s'est vu attribuer certaines compétences très jeune. On lui apprit en autre à ne pas développer ses sentiments et à agir selon des règles stricts : le clan avant tout. Cette mentalité n'était pas encrée dans sa mère et cela explique sans doute son côté sentimental. Dès sa tendre enfance, elle lui apprit l'empathie, l'amour et l'importance des sentiments. Elle disait qu'avoir des sentiments, c'était se sentir vivant. En parallèle, son père ne lui avait jamais montré ses sentiments, toujours dans une fierté abusive qui devait lui permettre de montrer sa force auprès de ses membres.

   ♠ De tout ceci, Sora a retenu plusieurs choses qui le définissent encore aujourd'hui. Il est devenu une personne aux apparences fières et froides, il semble toujours détaché de ce qui l'entoure, même lorsque la mort vint pour lui il resta de marbre jusqu'à la fin. On le dit aussi très arrogant par moment car il n'hésite pas laisser une expression se manifester ; un sourire moqueur. Il regarde alors les gens, se moquant d'eux de façon silencieuse. Cette attitude agaçait énormément sa mère dès qu'elle le voyait faire et, de façon générale, elle énervait son père. Il avait pris ce trait de caractère à l'adolescence et il se reçut de nombreuses baffes en retour lorsqu'il osait la montrer à son père. Il apprit aussi l'humilité grâce à tout ça, l'empathie, la gentillesse, la tendresse et une notion d'amour qui lui échappait encore. Il comprit le sens de ce mot à l'âge de 17 ans lorsqu'il eut son premier amour. Une jeune fille qui n'avait pas peur de lui ou de sa famille. Elle semblait désintéressée de sa fortune, de son rang futur. Elle l'appréciait juste depuis leur rencontre à l'école ; où son père l'avait obligé à aller pour avoir une instruction utile lorsqu'il deviendra chef de clan à son tour.

   ♠ Pour autant, ses sentiments les plus humains n'étaient visibles que pour cette demoiselle et lorsqu'elle rompu avec lui alors qu'elle l'avait vu se battre - elle détestait la violence - et cet air si méprisant, il s'était promis de ne plus rien ressentir. Sa relation n'avait durée que huit mois mais il l'avait apprécié à sa juste valeur. À cette période, son père jugea bon de prendre sa retraite, pensant que son fils avait atteint un point important de sa vie ; le sentiment de déception profonde agrémentée d'une grande tristesse ; il était temps dans faire un homme en profitant de cet état d'esprit pour qu'il devienne un yakuza digne de son nom.

   ♠ Mais après deux ans seulement, il fut tué par un clan adverse alors qu'il rentrait d'une visite chez sa mère. Un coup de poignard à la gorge ; heureusement il n'en a aucune trace dans ce monde. Dans ce monde, il a gardé sa façon d'être ; il est toujours froid aux premiers abords mais il semble légèrement plus abordable ; sans doute dû à son métier et à l'influence de sa faction. Il change toutefois radicalement de comportement quand il est avec Kalistée Riddle, il devient alors charmant et attentionné, gardant un côté sans pitié pour qui la menacerait.
   

   ♠ Dans les années quatre-vingt dix, un jeune bébé naquit trois ans après le début d'une époque qui serait connue en occident pour ses musiques. En l'année 1993, le douze juillet, le Japon fut la cible d'un séisme de 7,8 sur l'échelle de Richter. Elle tua deux cents personnes. C'est à cette date, précisément, que Kuuran Sora vit le jour à plus de neuf cents kilomètres de la catastrophe dans la ville de Tokyo. Son père, craignant la colère des Kami nomma alors son fils Sora, signifiant ciel. À ses yeux, cela le rendait invulnérable aux kamis de la terre et de la mer. Sa mère n'eut rien à dire mais le prénom, au vu de la coïncidence, lui plaisait beaucoup. Cette idée de voir son fils unique intouchable et sous la protection des kamis du ciel la rassurait énormément.

   ♠ Les treize premières années de son existence, le jeune japonais n'eut pas le droit de sortir si ce n'était pour se rendre à l'école. Afin d'assurer sa sécurité, il était d'ailleurs accompagné d'un des hommes de mains de son père ; ce qui n'arrangeait pas ses relations sociales non plus. Il vécut son enfance seule, entouré par les yakuza et les principes stricts de son père. Il devait se lever aux aurores pour réviser ses cours et prendre de l'avance, puis lorsqu'il rentrait, il devait apprendre à manier l'arme des samouraïs, idoles de son père. Il apprit donc le kendo à l'âge de six ans pour ensuite manier un katana d'entraînement trois ans plus tard. Lorsqu'il eut treize ans, il maîtrisait une vraie lame dans de vrais combats où il pouvait se blesser ; une façon sympathique de son père de le rendre plus fort. Puis, il eut le droit de prendre ses décisions car selon les traditions samouraïs, c'était à cet âge que l'on devenait un homme et recevait sa lame d'honneur. Aussi, son père choisit de lui donner un peu plus d'indépendance.

   ♠ Il commençait finalement à pouvoir sortir après les cours - même s'il ne devait pas négliger le reste - et tenter de se faire des amis. Et tenter, c'était bien le mot. Ses connaissances sur la sociabilisation se résumait à ce qu'il avait vu entre son père et ses hommes. Autant dire qu'il ne réussit pas à s'en faire avant un moment. Il en devenait violent lorsqu'on lui refusait le droit d'être ami avec lui et, bien vite, il fut détesté. Nul ne lui donna de chance jusqu'à ses quinze ans : il avait trouvé un adolescent de son âge avec une violence égale à la sienne et suite à un combat, ils étaient devenus copains. Une histoire assez banale dans les faits mais qui représentait beaucoup pour Sora. Malheureusement, les études les séparèrent et ils se perdirent de vue. Lorsqu'il retrouva sa trace peu avant sa mort, il apprit que son ancien ami s'était fait renverser par une voiture alors qu'il traversait. Un chauffard ivre qui venait d'apprendre qu'il était pas. Son enfant apprendrait bien plus tard pourquoi son père était en prison.

   ♠ Pour l'anniversaire des dix-huit ans, son père le fit chef de la famille. Dans le monde des Yakuza, la famille représente ses proches mais aussi les membres du clan. On dit que le chef du clan est le père et que les membres sont ses fils. Aussi, à dix-huit ans il venait d'hériter de cinq milles hommes. Il devait organiser sa famille, se montrer digne de son poste et aider le clan à avancer. Et si l'on devait faire un bilan, on pouvait dire qu'il avait royalement échoué. Il s'était montré immature, impulsif et violent. Il avait confondu pouvoir et gaminerie. Il suffisait qu'on le regarde de travers pour qu'il envoie deux-trois hommes frapper le malheureux ; et il n'hésitait pas parfois à violenter des femmes. Au final, son règne fut très court puisque deux ans seulement après sa nomination - et un clan quasiment en ruines - il fut assassiné par un clan rival qui n'avait guère apprécié qu'on empiète sur son territoire. Une lame lui trancha la gorge laissant gicler le sang dans la rue comme une fontaine. Les murs, le sol, les poubelles à une mètre de là, son sang avait tout souillé mais ça, il n'était plus là pour le voir.

   ♠ Un passeur vint le voir (...).