Mon apparence ? Je ne saurais me décrire, et pour cause, je ne me suis jamais vu. Mais déjà, je sais une chose, je ne leur ressemble pas. A eux, ces personnages qui ont un rôle déterminé, un avenir et un passé. Je ne suis pas non plus comme les Alices. J'ai beau être sourd et aveugle je n'en suis pas muet pour autant, pour peu que vous preniez la peine d'écouter, vous réaliserez que les murmures du vent entre mes feuillages sont ma voix. Faible et sèche bien que toujours douce. Rares sont les personnes qui savent prendre la peine de m'écouter. Pourtant j'en ai des choses à dire, je suis le porte parole de tous mes frères muets.

Je n'ai pas de bouche, ni de visage à proprement parler, c'est pour ça que je fonctionne différemment de vous autres, je suppose. Mon apparence peut d'ailleurs paraître inquiétante, de prime abord. Mon cou se résume à un tronc, frêle et gracieux à la fois. Quelques centimètres plus haut il se divise en diverses branches, s'entrelaçant pour créer une sorte de cage enfermant mes quatre cœurs en lieu et place de mon visage, inutile de préciser que je ne vois pas. Représentant les quatre éléments me composant. Deux petits cœurs pour l'air et pour la terre, un moyen pour l'eau et un grand cœur représentant l'énergie des âmes de Wonderland me permettant de me mouvoir.Je suppose que d'une certaine façon, cette partie fonctionne comme son équivalent chez les humanoïdes. Ici, sont stockés ces éléments avant d’être amenés le long de mes vaisseaux et être ainsi distribués dans le reste de mon corps.

De cette même cage me servant de visage dépassent quelques branches rebelles me donnant un air presque sauvage. Et telle une antenne au dessus de ma tête les branches entrelacées se réunissent en tronc soutenant un épais feuillage de couleur vermeil. En parlant de cette couleur d'ailleurs, ma sève aussi arbore la même. Je suis noir d'écorce, dure et calleuse. De mes feuilles vous tirerez un thé écarlate aux effets dignes des meilleures drogues, de ce que l'on m'a dit. Il paraîtrait que les brûler soit encore meilleur, mais je ne m'y risquerais pas. Sans compter que m'arracher une feuille équivaut à vous prendre un cheveux, vous ne voudriez pas me faire chauve avant l'hiver?

Mon corps à une forme humanoïde, il est fin, noueux, entièrement fait de bois d'ébène et recouvert d'écorce. Il dégage d'ailleurs une forte odeur de bois frais. J'ai beau paraître chétif je suis très résistant, bien plus qu'un chêne centenaire. Mes doigts se résument à une agglomération de branches que je peux mouvoir selon mon bon vouloir. J'ai tenté de me refaire à l'image des hommes que j'ai pu rencontrer. Quant à ma silhouette elle est fine et élancée et bien que mes mouvements soient tous saccadés certains trouvent de la grâce dans les grincements de mon bois. Mais pour la plupart mon apparence est dérangeante. A cela vient s'ajouter une caractéristique propre aux végétaux de la forêt désenchantée. Sur mon écorce charbon se gravent les pensées des personnes se trouvant trop près de moi. Et bien que je sois sourd mon être tout entier assimile ces pensées tout comme ces sentiments. Je pourrais vous paraître froid mais, croyez-moi, de par ce fait je peux comprendre parfaitement les sentiments qui vous animent et faire preuve d'empathie.

Le dernier détail concernant mon apparence est mon habillement. Après tout, un gentilhomme ne peut se promener nu. J'aborde le style vestimentaire le plus classique possible, du moins à mon sens. Une chemise dont le col est orné par un fin ruban vermeil. Par dessus, un gilet marron rayé. Et une veste beige accompagnée d'un pantalon de la même couleur tout comme des chaussures assorties. De plus, je bois mon thé par mes racines.

Je ne suis rien, juste une ombre perdue dans vos esprits. Et pourtant n'étant rien je peux devenir qui je veux être, non? Ne pourrais-je pas me créer ma propre identité? C'est avec ce genre de pensées que je suis né. Ou pas, peu importe. Je suis un individu un peu naïf. Pour peu qu'on daigne me parler je suis prêt à tout écouter. Et bien qu'un jour l'envie de me chasser vous prendrait, je ne comprendrai pas. J'ai beau ressentir les émotions humaines je ne les comprends pas vraiment. Colère, rage, haine, je n'y arrive pas, cela m'effraye quand ces sentiments se frayent un chemin à travers mon écorce.

Quelque part j'aimerais comprendre, d'ailleurs je suis très curieux. Je ne connais rien de ce qui m'entoure et je voudrai tout découvrir, apprendre à tout connaitre. Et quoique vous me disiez je serais prêt à vous croire. Je ne suis pas peureux, au contraire, on me qualifie souvent d'envahissant. Pourtant j'essaie juste de faire plaisir aux gens que j'apprécie. J'aime prendre le thé et bien que je ne l'absorbe pas à votre manière mes racines frétillent au contact avec ce liquide brun. Je suis un gentilhomme, maniéré et bien élevé. Est-ce le bon terme pour un arbre? Cultivé? Je m'instruit c'est vrai, sur les épitaphes de les frères coupés.

J'ai un coté très maladroit, aussi bien dans mes paroles que dans mes gestes. Ceci dit je n'ai pas d'yeux, ce qui pourrait expliquer ce dernier point. On me qualifie souvent d'insolent, d'ailleurs la reine a déjà tenté de me trancher la tête... mais n'en ayant pas, le bourreau se retrouva dans une impasse et on me laissa filer, mon feuillage faisant honneur aux couleurs de sa majesté. On me qualifie souvent d'étrange aussi bien par mon sens de la logique tout à fait particulier, que par la manie que j'ai de parler à mes congénères en public, même les découpés. Si bien que l'on peut souvent me voir converser avec une chaise ou m'excuser auprès d'une porte dans laquelle je suis rentré.

En raison de la malédiction qui incombe sur nous, les habitants de la foret, je suis un personnage très sensible. Si bien que la différence physique qui me sépare des autres habitants du pays de la folie me font sentir comme si j'étais un monstre. Je n'ai jamais aimé cette différence et quelque part cela m'attriste. Tout comme la peur qui s'empare de vous à chaque fois que vous m’apercevez. Des fois je suis bien heureux de ne pas pouvoir voir ces expressions horrifiées. Mais malgré ça, ce pouvoir a un autre effet sur moi. A travers les fissures de mon armure de bois se sont introduits les vices humains... convoitise, avidité... quelque part je sens que je ne peux lutter contre cette part d'ombre qui affecte ma neutralité en tant qu'élément du décor. Et des idées folles telles qu’être aimé où encore obtenir une identité viennent s'ancrer dans mon esprit.

 

Que je vous raconte une histoire? Vous n'en demandez pas un peu trop non? La vérité c'est que je n'en ai pas vraiment... Je peux commencer par vous raconter l'histoire du lieu où je suis apparu. La foret aux murmures, un lieux qu'on dit damné mais où je n'ai pas vu errer le moindre esprit. Ah oui, j'oubliais. Je ne vois pas, vous avez le sens de l'humour...

Alors tant qu'à faire faisons dans l'originalité, il était une fois... une foret dense qui abritait fées et farfadets. Tous vivaient en harmonie jusqu'au jour où une sorcière vint y élire domicile. Evidemment ces créatures enchantées ne voulaient pas juger sur les apparences et l'accueillirent à bras ouverts. Si bien que toutes les semaines ils allaient s'amuser dans son jardin. Inutile de vous dire que cela déplut à la sorcière. Cependant elle avait beau beugler rien n'y faisait, cette irritante harmonie ne se brisait pas.

A bout de nerfs, la sorcière utilisa sa magie pour enchanter la foret et semer la discorde parmi ses habitants. C'est ainsi qu'un sort fut jeté sur les arbres qui depuis ce temps continuent d'afficher sur leur écorce les pensées des gens qui s'en approchent. L'harmonie basée sur le respect se fragilisa pour enfin se briser. Bien vite le lieu fut réputé comme maudit et la vielle sorcière eut enfin la paix tant désirée.

Lorsque je fus déraciné par la guerre qui grondait entre les peuples, j'obtint la capacité de mouvoir mes branches sans l'aide du vent, bien que mon vieil ami me resta indispensable pour pouvoir parler. Les jours sans vent sont solitude. Je me retrouva animé, tel un automate à la merci de ce monde. Depuis ce jour, le jour où j'ai obtenu une "conscience" je suis devenu un paria, un rejeté. Car naître au royaume de la folie n'a rien d'une bénédiction. Plutôt que de connaitre les horreurs qui nous entouraient j'aurais préféré rester tronc.

Enfin, c'était ce que je me disais au début. Quand je me fut habitué aux horreurs du monde "extérieur" la curiosité prit le dessus sur la peur, et je me mis à errer sans raisons particulières de parts et d'autres de cet univers, me mettant des situations bien dangereuses sans vraiment le réaliser. Où j'allais? Qu'est-ce-que je faisais? Je n'en savais rien mes pas étaient dictés par l'environnement qui m'entourait. Mes voyages on laissé court à de nombreuses rumeurs concernant la foret où j'étais né. On disait que les hommes y devenaient fous et devenaient des arbres mais cela n'a rien à voir avec moi non? Je n'ai jamais été humain, du moins je n'en ai pas le souvenir...

Un jour le royaume changea, un gentilhomme me proposa un thé alors que j'étais déshydraté et en échange il me prit mon âme. Depuis ce jour, je me suis mis à entendre de nouveau mes frères, oubliant la solitude de mes années d'errance, retrouvant enfin les miens.