I'M FABULOUS!
Les grains tombent doucement dans le sablier, le plus proche et je laisse la douce, bien que froide, mélodie de l'horloge, bercer mon esprit. La main contre le visage, les doigts perdus dans les cheveux, j'ouvre difficilement les paupières, rejoignant ainsi la réalité gravitant autour de moi. Les dernières images provenant de mes rêves s'évaporent alors que je me redresse, les draps se froissant à mon mouvement. Une nouvelle journée commence ? Pourtant, je crois reconnaître, encore, la fraîcheur de la nuit depuis la fenêtre ouverte. J'approche alors de celle-ci, posant mon regard sur les horizons avant de sourire doucement. « On ne peut donc pas passer une nuit tranquille ? » Un léger soupire accompagne mes mots, mes mains poussant la fenêtre pour le fermer avant de m'éloigner de cette dernière, rejoignant ainsi la salle adjacente. Nu, mes pieds se posent sur le sol, quelques frissons viennent traverser mon corps. Face à un miroir, je passe ma main dans la sombre tignasse, cherchant dans mon reflet une forme d'imperfection. Passant les doigts contre ma joue, je fronce légèrement les fins sourcils dominant mes yeux, alors que je crois ressentir une forme de relâchement dans ma peau.
« J'ai un peu trop travaillé, mon corps ne s'est pas suffisamment reposé. » Un sourire vient alors étirer mes lèvres...
Pouvons-nous trouver la perfection ? Elle possède tellement de visage que je ne recherche plus véritablement de réponse à ce questionnement. Dirais-je que je suis parfait ? Selon mon point de vue, cette apparence est « excellente » mais ne possède pas de perfection. Elle est banale, en fait. Une tignasse sombre, qui semble vouloir désobéir à chacun de mes ordres, domine mon visage à la peau immaculée. Je n'arrive jamais à m'enlever ce petit sourire, ce léger rictus, ce dernier aimant s'associer à la lueur intriguée, intéressée... enfantine qui domine mes yeux, dont les iris sont d'un rouge proche de celui du crépuscule. Ce n'est pas le visage d'un voyou cherchant à faire sa bêtise... mais plutôt celui d'un gamin qui profite pleinement de chaque curiosité de ce monde et de ses habitants... surtout de ses habitants. Enfin, c'est de cette façon que je le décrirais. Bon, décrire après est une chose parfois difficile lorsque certains éléments peuvent... « changer ». La « logique » existant en mes yeux est assez simple à comprendre. Une émotion que je vais considérer comme positive va jouer avec la structure même de mon œil. Ainsi, telle une bulle, l'iris éclatera pour se reformer, sous une autre lueur. Existe-t-il ensuite une cohérence entre les couleurs et les émotions ? Pas réellement. C'est juste la preuve que cette apparence possède ses limites...
« Prince ? » Je lève les yeux vers le ciel, ou plutôt vers le plafond, avant de soupirer doucement. Levant ma main, Hector s'incline, comprenant qu'il me dérange. Ah les serviteurs... ils veulent faire leur travail mais... Bon... où en étais-je. Ah oui... les limites de ma jeune apparence. Tendant doucement la main, je la pose contre le miroir, penchant légèrement la tête en continuant d'observer mes propres imperfections. « Petit... » Oui, il existe des gens de taille plus petite, beaucoup plus petit ! Mais je suis tout de même petit avec mon un mètre soixante. C'est peut-être la première chose qui me dérange chez moi, cette taille.
« Enfin, il est trop tard pour changer ça. » Oui, trop tard... Beaucoup trop tard. Mon point de vue s'est radicalement métamorphose lorsque j'ai moi-même vécu cette transformation physique. Oh... oui, j'ai oublié de dire... ce que je vois n'est que l'aspect le plus « présentable » – selon des conventions qui ne sont en aucune façon les miennes – et le plus pratique – en ça, par contre, je suis d'accord – de mon corps. Oui, cette petite taille, n'est pas ma véritable apparence. Cette fine physionomie, à la musculature très légèrement présente, mais peu suffisante pour faire de moi un guerrier, est, fort heureusement – je pense –, qu'une simple image. D'ailleurs, il est même important de dire qu'habituellement, je ne ressemble en rien à un être humain.
« Prince ? » Je passe la main contre mon visage... soufflant doucement, essayant de garder mon calme.
« Oui... ? » Il m'explique, rapidement, qu'un petit soucis a été déclaré avec un cobaye. Massant un peu ma nuque, j'ordonne à Hector – une silhouette voûtée et au visage bloqué dans un masque en bois, ouvert au niveau des yeux en deux grands cercles vides – de s'y rendre dès maintenant et de … tout prendre en charge pendant que je termine. Ma respiration s'accélère peu à peu tandis que ma peau d'albâtre est peu à peu souillée, devenant plus sombre. Massant l'arrête de mon nez, j'essaye de relativiser.
« Tout se passera bien... ils savent se débrouiller sans moi. » Voilà ce que je me répète, deux à trois fois.
Mon corps, car depuis le début il est le centre de ce récit, subis mes émotions. Si les yeux suivent la dynamique changeante des émotions les plus amusantes, c'est tout ce qui compose mon être physique qui, lui, répond aux sentiments négatifs. La colère, la rage, le désarroi... toutes ces couleurs sombres détruisent peu à peu la stabilité de mon apparence humaine et s'amuse à faire de moi un être hybride. Mon pouvoir est de contrôler ma propre matière, celle qui forme ce corps indicible, alors pourquoi je ne peux contrôler cet état ? Une question à la réponse très simple : la pression. Ma véritable apparence est une masse, innommable et imposante, au contour parfois flou. Des yeux distants l'un de l'autre, bien plus nombreux que deux, des tentacules et autres appendices grotesques... La nuance qui domine mon corps est principalement sombre, avec des éclats violacés. Plusieurs agglomérats de bulles et d'orbes s'amusent sur cette forme, bougeant à leur rythme, lent ou rapide... avant de se rencontrer pour se briser et, comme les iris, se reformer. Oui, ce n'est pas une petite silhouette souple, mais bien un imposant monstre, un agencement aberrant de vastes abominations... Voilà, ce que je suis réellement, le tout bloqué dans unique silhouette, comprimé... Alors oui, le cœur peut parfois détruire cette minutieuse création.
« Bon... j'ai assez perdu de temps... » La voix, d'ordinaire douce, se montrait plus difficile à supporter, gutturale. Un appendice naît peu à peu de ma nuque, s'étendant pour se diriger vers des tiroirs, qu'elle ouvre les uns après les autres, des sœurs naissant de sa structure initiale pour récupérer différents vêtements. Au même instant, mon corps sombre totalement, laissant simplement deux orbes écarlates sur le visage... Je ressens mon corps se « renouveler », retirant ainsi les imperfections, les saletés, pour enfin reprendre un état bien plus stable, de nouveau immaculé. J'attrape les vêtements que mes tentacules me ramènent, ces dernières disparaissant ensuite dans mon corps. J'enfile alors une chemise écarlate et un pantalon sombre. J'apprécie ce style, des vêtements assez centré. Le rouge n'est pas la seule nuance que j'utilise, tout comme le noir. Glissant mes doigts dans des anneaux et bagues, je termine enfin en ajustant ma cravate... petit tic que j'ai commencé à développer. Enfilant alors des chaussures cirées, je prends congé de la pièce, rejoignant le hall d'entrée de la vaste suite.
Oh, au fait, la belle question: pouvons-nous trouver la perfection ? Bien sûr, tout dépend de votre définition de celle-ci. Moi ? J'aime ce corps... cette monstruosité, je l'aime ! Suis-je parfait ? Pas encore. Pas encore...